Je rêve de rencontrer Yolande Villemaire pour lui raconter une nuit de possession, vers la fin des années 1980, nuit au cours de laquelle l'angoisse m'a enveloppée, transpercée, traversée, puis habitée sans que je puisse comprendre immédiatement ce qui se passait. Je lisais
La Constellation du Cygne, paru aux Éditions de la Pleine Lune en 1985. L'histoire portait sur la passion entre une prostituée juive et un officier nazi. À l'époque, je vivais plusieurs relations simultanées, dont une, particulièrement malaisée et malsaine avec un type un peu fou qui s'était brûlé les neurones avec diverses substances. Je lisais frénétiquement le roman, m'y enfonçant de plus en plus, revenant sur les pages, trébuchant sur des mots, des lieux, nauséeuse en permanence, aux prises avec une impression de déjà-vu irrationnelle. Une nuit, alors que je recommençais à lire encore une fois le même passage, une évidence me frappa de plein fouet et je déchirai la page sous le choc: mon nom, Alice Bergeron, était l'anagramme presque parfaite, quoique amputée d'un "S", du nom de son personnage féminin: Celia Rosenberg. J'en perdis le sommeil des jours durant.
Quelques semaines plus tard, en entrant avec une amie dans un commerce d'antiquaire délabré, un vieil hibou-médium, propriétaire des lieux, m'apostropha violemment et me révéla que j'étais une erreur de la nature, une malfaçon en transition dans la vie présente, car je devais expier de nombreux péchés, pas juste les miens, le feu n'ayant pas réussi à tuer toute mon âme. Selon lui, j'étais morte brûlée au début des années 1940, probablement vers la fin de l'année 1941, putain dans ma chair et ange dans mon cœur, mais mal consumée, des fragments de poussières d'âme et d'inconscient en errance avaient trouvé leur chemin jusqu'à moi - comme en témoignait mon œil égaré.