Le
13 février 2013, après une nuit d’angoisse à contempler une page folle de
blancheur, quelques personnes m’ont offert une phrase. Voici le petit récit
sans prétention qui est issu de chacune de ces phrases.
Nayla était assise en tailleur sur la première marche après
le palier et faisait tranquillement des sudokus. Sur son T-shirt noir, elle
avait peint : Allah est grand ! À bas l'islamo-fascisme ! Quelques
cheveux bleus s’échappaient ostensiblement de son foulard clouté. À la vue du
propriétaire de l’immeuble qui montait péniblement les marches jusqu’à son
appartement, elle se surprit à lui sourire, puis lui lança :
-
Hail Euler !
-
Ne me prend pas pour un ignare, fillette !
» lui répondit-il.
L’homme était presque rendu à l’étage suivant quand elle lui
dit :
-
Mister Léonard, faut pas te vexer comme ça, je
taquinais !
-
Un jour, tu seras vieille et essoufflée, toi
aussi.
-
Oui. Je vais vieillir d’une année sous peu et je
souhaite réaliser tous mes projets avant de mourir.
-
Sois prudente avec tes carrés magiques,
mademoiselle Berg-Ehron. Sache que ce que tu souhaites se réalisera comme il se
doit, lui répondit-il lentement en reprenant son souffle.
Il ne pensait pas si bien dire.
***
— –
L’absinthe avait fait son effet. Jen ne tenait plus en
place.
-
Si je tombe en bas de ma chaise, mets-moi une
cigarette dans ‘bouche !
-
T’as trop bu, Jen. Viens, on va s’en fumer une
sur le balcon avant que tu tombes, puis après, je vais te mettre au lit.
-
Veux pas m’arrêter, ma belle Bleue… Fais-moi une
‘tite place sur tes genoux. As-tu un cul-de-poule ?
-
Non, mais de quoi tu parles ?
-
Un cul-de-poule, Nayla. Tsé, un saladier en
métal ? Comme ça, si je suis malade, j’cochonnerai pas la place.
Nayla alla chercher un bol dans
la cuisine et le déposa au pied du divan.
-
Viens, clopons, mon éclopée ! Après, je te
mets au lit. Ok ?
Jen s’extirpa soigneusement des
coussins, puis enlaça Nayla :
-
Vous m’épatouillez, dame Berg-Ehron, comme
toujours, lui susurra-t-elle à l’oreille.
Puis, un peu plus fort :
-
Ok, ok,
let’s
do this ! Clopons, la vie est belle !
Que s’est-il passé ensuite ? Est-ce que ce sont les
trace laissées derrière par Big, pas foutu de disposer correctement de son
« gant de latex » après l’avoir jetée, elle, après usage ? Nayla
n’arrivait pas à comprendre ce qui avait mis Jen en furie. Celle-ci s’était
mise à hurler et à trembler convulsivement. Ses dreads verts et châtains, libérés, fouettaient l’air et le visage
de Nayla qui tentait, tant bien que mal, de la maîtriser, de la calmer. Elle
faisait avancer Jen pas à pas, en l’appuyant contre le mur. Alors qu’elle la
dirigeait autour des chaises de la cuisine, Jen échappa à l’emprise de Nayla,
s’empara du vase au centre de la table et le lança de toutes ses forces et avec
une précision absurde dans sa direction. Nayla n’eut pas le temps de l’éviter.
Le vase éclata en mille miettes, dispersant les fleurs séchées dans toutes les
directions. Jen s’effondra au sol en sanglots. Tant bien que mal, Nayla la
releva et, la tenant fermement, la dirigea vers la chambre. Elle réussit à la
mettre au lit, puis revint vers le salon chercher le cul-de-poule. De toute
évidence, Jen allait en faire usage.
Ses larmes se mêlaient à la sueur qui dévalait ses tempes,
puis ses joues en traçant des entrelacs dans son cou avant de s’engouffrer
entre ses seins. Nayla s’essuya distraitement les lèvres, goûta le sel et le
métal… Elle saignait comme un cochon, son t-shirt et le plancher étaient
maculés de sang. Il faisait si chaud déjà. Elle attrapa un linge de vaisselle
et s’essuya le visage en pensant que le Dairy Queen allait ouvrir dans deux
semaines et que ça voulait dire que le printemps s’en venait.
Comment se fait-il que des pensées aussi stupides nous
assaillent dans des moments aussi dramatiques ?, se demanda-t-elle. Il est
temps que je fasse un move. Je
souhaiterais tellement passer à autre chose, changer de vie, mais je n’ai
aucune idée de ce que je veux, soupira-t-elle.
— –
Il n’y avait pas de contremarches dans l’escalier. Quelqu’un
avait longuement occupé cet espace, observant à travers, et avait peut-être été
témoin de captures en montée sans-dessous sens dessus-dessous, ces saisies dans
l’acte d’amour, ces saillies, à même les marches, avant même de se rendre en
haut.
C’est ainsi que Big avait déstabilisé la troisième marche
dans un effleurement pressant de mâle qui avait laissé à Nayla des brûlures de
friction au sacrum et des échardes au cœur. C’était la troisième fois qu’il
essayait de la séduire. Il y était parvenu, à son cœur défendant. Son corps,
lui, avait tout permis.
« Il m’a saisie à bras-le-corps. Il y a eu ravissement…
et ravage », se dit Nayla en changeant les points de rapprochement sur son
front.
C’est après le départ de Big, dont elle ne se souvenait que
de l’enflure du nom et du membre, et après sa dispute avec Jen, qu’elle conçut
le projet de partir. Mais avant, elle allait faire la peau à ce qui avait été
écrit sous l’escalier au lendemain de sa capitulation. Ou plutôt, faire la peau
belle, car il n’était pas question qu’elle détruise le travail d’un poète,
aussi malintentionné ou peu talentueux soit-il. Sinon, ce serait comme taguer
un graffiti : ça ne se faisait tout simplement pas. Taguer un tag, rien
d’inhabituel : du pipi de chien tout cela. Mais s’en prendre à la création
d’un autre artiste, c’était wrong. Non,
elle se contenterait de visiter les mots, d’en transformer certains et d’y
ajouter les siens pour en faire un poème à voies multiples qu’elle lirait au
Demi-Rêve, si jamais elle remettait les pieds à cet endroit.
Marchande de peau infâme
Sur un lit, la Pute NAYLA,
Lubrique jusqu’aux os,
Use son beau cul vide
Sur nos queues arides
Comme le poème lui rappelait vaguement quelques vers de
Baudelaire, elle le transforma, de manière qu’il devienne possible de lire
plusieurs poèmes dans un seul. Nayla relut les vers, puis corrigea ses fautes.
Écrire n’était jamais simple pour elle. Le doute l’assaillit. Tant de phrases
incroyables avaient été écrites dans l’histoire de la littérature qu’il lui
semblait être pure prétention de sa part que de croire pouvoir en inventer une
de plus.
Pour la forme, elle prit le tout en photo avec son iPhone, ramassa
les craies qui traînaient et les jeta dans son sac à dos. Elle partit ensuite
en direction de la gare d’autocars. La vague de chaleur se poursuivait. Il
faisait déjà presque 24 oC et il était à peine huit heures. Alors
qu’elle marchait en se laissant bercer par les cymbalisations des cigales, Nayla
fit une rencontre inattendue sur la rue McGill College : Euler ! Elle
le reconnut à sa cicatrice en croissant qui s’avançait de plus en plus
courageusement dans la clairière de son crâne. Il était debout, de dos et
immobile au centre du trottoir. Les passants le contournaient sans lui accorder
le moindre regard. Nayla s’arrêta quelques mètres derrière lui. Maintenant, les
passants formaient une vague en forme de huit, évitant le vieil homme, puis la
jeune femme. Nayla resta plantée là de longues minutes à observer le flot
presque ininterrompu de ces étrangers qui allaient tous quelque part. Elle se
surprit à sourire doucement. Elle rougit violemment lorsqu’elle s’aperçut qu’Euler
s’était retourné vers elle.
-
Tu me rappelles une jeune femme que je croisais
parfois chez une amie, parfois dans un bar. Elle n’était ni belle ni laide,
juste très particulière dans sa solitude. Plus que ses longs cheveux teints
auburn et sa taille très fine, c’était cette grande solitude qui m’avait attiré
chez elle. Je la voyais au Cauchemar. Mademoiselle Nayla, savais-tu que le
Demi-Rêve s’appelait autrefois ainsi ?
Sans attendre sa réponse, il poursuivit.
-
La jeune femme dansait seule, les yeux mi-clos,
à la fois gracieuse et gauche. Ses mouvements erratique la faisait ressortir
parmi tous les danseurs, car ceux-ci laissaient beaucoup d’espace autour
d’elle, de manière à ne pas entraver les mouvements de son corps, ses
pirouettes imprévues, ses chutes dont elle se rétablissait aussitôt, en
caressant le sol.
Un groupe de touristes bouscula légèrement Euler, qui se
rapprocha encore davantage de Nayla. Son haleine était vineuse. Il y avait
moins de passants, mais tous deux restèrent debout au centre du trottoir.
-
Un soir, continua Euler, je m’étais approché de
cette femme, bien décidé à engager la conversation avec elle, mais lorsqu’elle
m’avait regardé, j’avais été si intimidé que j’avais immédiatement quitté la
piste de danse pour aller fumer une cigarette sur la terrasse du 3
e
étage. J’avais été très déçu de ne pas la retrouver lorsque les lumières
s’étaient allumées, invitant les fêtards à aller terminer ailleurs ce qui
n’avait pas su commencer avant le
last
call. Pourtant, je savais qu’elle devait avoir quitté depuis peu. Je suis alors
parti à mon tour et j’ai marché vers le nord plutôt que de rentrer chez moi.
Mon œil cherchait sa longue jupe et son châle noirs, mais la nuit ne recelait
que des épaves criardes court vêtues et hérissées. J’avais renoncé à la trouver
et, le pas mal assuré, j’ai bifurqué vers le square afin d’y dormir quelques
heures.
Nayla ne voyait pas où Euler voulait en venir, mais elle
l’encouragea à continuer son récit.
-
Mister Léonard, allons nous asseoir dans le
petit parc près de la bouche de métro, si vous le voulez bien. J’ai peu dormi
ces derniers temps et vous me semblez fatigué, vous aussi.
-
Oui, faisons cela, lui répondit Euler. J’étais
donc arrivé au square et c’est au moment de contourner le petit pavillon que je
la vis. Elle marchait lentement autour de la fontaine. Je pressai le pas et
elle s’arrêta. De dos, elle paraissait encore plus menue. Je m’approchai en
courant. Elle se retourna avec un vague sourire qui s’estompa progressivement,
laissant à son regard triste et doux le soin de m’annoncer que je n’étais pas
celui qu’elle espérait. « Promettez-moi, gentil cyclope, d’être doux et
fougueux », dit-elle en me prenant par la main. Sans attendre ma réponse,
elle m’entraîna chez elle. J’y suis resté pendant trois ans. J’ai partagé sa
vie, son lit et j’ai fait partie de sa cour. Celia s’est toujours montrée
pleine de douceur et d’égards, tout en maintenant son cœur à distance. Il y a
eu des moments difficiles, comme quand il m’arrivait de croiser ses autres
prétendants dans l’escalier quand je partais travailler. J’ai fini par prendre
le tout avec philosophie et à me surprendre à trouver ces
« circonstances » des plus comiques. Je me souviens d’un soir où
quatre autres hommes étaient venus s’asseoir à sa table au Supplicié et du
trouble, voire de la vexation que certains avaient éprouvé en découvrant tout à
coup que les autres hommes présents étaient, eux aussi, des poulets faisant
partie de sa suite… mais je m’égare, comme toujours, quand il est question de
Celia…
Nayla vérifia l’heure aussi discrètement que possible sur
son téléphone portable. Elle constata par le fait même que personne n’avait
encore tenté d’entrer en communication avec elle. Il ne fallait pas qu’elle
soit en retard.
-
Je constate que la Lune t’a mordue, toi aussi,
lui dit Euler en déplaçant son foulard pour lui caresser doucement la joue. Encore
de nos jours, les vases font bien des dommages…
Nayla n’eut pas le temps d’esquiver le geste d’Euler ni de
contenir l’émotion qui s’échappa de ses yeux, brûlant sa joue au passage.
-
Mister Léonard, je ne veux pas être impolie,
mais…
-
Pardonne-moi, fillette, je ne voulais pas être
indiscret ni te manquer de respect, l’interrompit Euler avant de poursuivre son
récit. Je ne me suis jamais plaint de ces situations et, d’une certaine manière,
j’ai peut-être été son favori – du moins, j’ai été le préféré de Louve, sa
chienne. Cette première nuit où Celia m’a ramené chez elle, il n’y a eu ni
jappements, ni grognements. Pour marquer mon arrivée dans la vie de sa
maîtresse, Louve s’était empressée de s’asseoir tout excitée à mes pieds et
d’uriner dans mes baskets. Mais peut-être que je t’ennuie avec mes histoires ?,
lui demanda-t-il tout à coup. Tu me sembles perdue dans tes pensées.
-
Non, ce n’est pas ça, c’est juste que j’ai à
faire au centre-ville avant 9 h 30 et que je ne comprends toujours pas où ce
récit s’en va…
-
Ni où toi, tu t’en vas, l’interrompit de nouveau
Euler. Qui sait où la vie nous mène ? Tout ce que nous savons, c’est
qu’elle mène, et ce, sans se soucier de nous. Pourtant, la vie fonctionne et
prend sens à partir des moments que nous choisissons de relater, des petites
fictions que nous construisons ou que nous anticipons. La vie existe hors de
nous, presque malgré nous. Notre présence ne lui est en rien nécessaire…
Parfois, c’est ce qui nous amène à vouloir la quitter, tout comme nous
souhaitons quitter ceux qui nous aiment. Il n’y a rien de pire que de cesser
d’aimer quelqu’un sans raison. C’est souvent le signe avant-coureur que nous
avons perdu notre raison d’être, notre direction. Quand j’ai rassemblé le
courage d’annoncer à Celia que je la quittais, sans pouvoir lui donner de
raison valable, elle a eu un accès de rage et m’a assommé avec un vase. Après,
elle s’est effondrée. Je l’ai mise au lit, j’ai tout ramassé et je suis allé
promener la chienne. Le lendemain, j’ai pris un bus pour Vancouver, où j’ai
passé les sept années suivantes. Va, Nayla, c’est maintenant le temps de
partir.
Mister Léonard lui caressa de nouveau la joue et l’embrassa
sur le front. Il se leva péniblement, puis partit, laissant Nayla les yeux
agrandis de douceur.
***
— –
Depuis quelques jours, personne n’avait vu Nayla. À l’appartement
qu’elle partageait avec Jen Miranda, ses affaires trainaient comme d’habitude. Curieusement,
Jen ne semblait pas s’en inquiéter outre mesure.
Von était persuadé que Nayla
était morte. Il dressait un parallèle entre sa disparition et les saccages
successifs du poème écrit à la craie sous l’escalier. La peine qu’il éprouvait
était si intense qu’il n’arrivait plus à dormir. Il se revoyait, quelques nuits
plus tôt, tapi sous l’escalier pendant que Big profitait du fait que Nayla
était, pour reprendre ses propres termes : « Trop drounke! » Il était resté bouche
bée de colère et de surprise. Ainsi, la précieuse pieuse révoltée marchait
maintenant à voile et à vapeur ? Qu’à cela ne tienne : il utiliserait
les propres mots de la salope qui avait levé le nez sur lui sous prétexte de
préférer les femmes pour étaler la vérité au grand jour. Rageusement, il avait
récupéré un bout de craie. C’est à ce moment qu’il avait vu les stries rouge
foncé sur le sol.
***
— –
À son réveil, Jen se pencha pour attraper sa deuxième
pantoufle. Sous le lit, elle découvrit une feuille pliée.
Lorsque je suis
revenue cette nuit, j’ai vu un éclat du vase que tu aimais tant sous le
comptoir. Je l’ai laissé là, je le laisserai là, jusqu’à mon retour. Si je
reviens un jour. C’est le mieux que je puisse faire dans les circonstances. Ce
sera une trace. Une trace moins accablante que celle que je porte dorénavant
sur ma joue. Là où le vase s’est brisé. Là où tu m’as quittée, Jen.
Mon désir de te
voir est réel. Mais ce ne sera pas possible avant quelque temps. Celle que
j’étais doit cesser d’exister. Pour le moment, je reste en lien dans l’invisible.
Tu me manques, Jen Miranda.
Avec amour, malgré tout.
Nayla
Jen replia soigneusement la lettre avant de la mettre dans
une enveloppe, qu’elle cacheta. Elle écrivit ensuite son nom comme
destinataire, l’adresse de ses parents au Portugal, puis l’affranchit
suffisamment. Elle ne prit pas la peine de mettre une adresse de retour. Jen
savait que l’enveloppe se rendrait à destination, puis que sa mère la mettrait
de côté, sans l’ouvrir. Peut-être même la brûlerait-elle, dans l’un de ses
moments de folie expiatoire. Jenofeva Miranda avait tant déçu sa mère ! D’abord
en s’arrachant à son emprise, puis en vivant au grand jour sa déviance. Toute
liberté a un prix et en général, il est très élevé. Alors qu’elle allait
déposer l’enveloppe dans la boîte aux lettres, Jen se ravisa et la remit dans
son sac. Nayla avait raison : elle avait cessé de l’aimer depuis longtemps
déjà, sans en être consciente, sans oser se l’avouer. C’est ce qui l’avait fait
entrer dans une rage folle l’autre nuit. Elle sortit une cigarette en pensant
tristement : « Ma vie est une suite d’auto da fé. » Elle alluma sa cigarette, sortit l’enveloppe de
son sac, puis y mis le feu.
De retour à l’appartement, Jen téléphona à des amies pour
leur demander si elles avaient eu des nouvelles de Nayla, car celle-ci n’avait
pas donné signe de vie depuis au moins trois jours. Elle leur raconta qu’elle
était allée rendre visite à une amie et qu’à son retour, elle avait constaté
qu’il y avait eu de la casse à l’appartement, qu’il y avait du sang un peu
partout et qu’il n’y avait aucune trace de Nayla. Elle réussit même à pleurer.
Elle se garda de révéler aux autres les événements ayant précédé la disparition
de Nayla.
La machine à rumeurs se mettait déjà en marche. Elle apprit quelques
heures plus tard qu’Ive avait créé une page Où
est Nayla ? Tous ses amis et connaissances se partageaient
frénétiquement la photo de Nayla et les récits de la dernière fois qu’ils
avaient été en contact virtuel ou réel avec elle ainsi que leurs hypothèses sur
sa disparition. De fait, Nayla était tellement présente dans tous les réseaux
sociaux qu’il devint presque futile de la chercher pour vrai. Un peu comme ces
voisins qui n’appellent pas les pompiers même quand un incendie fait rage,
présumant que quelqu’un d’autre l’a déjà fait. Jen enveloppa le morceau de vase
dans du papier de soie et le déposa dans l’une de ses boîtes à secrets.
***
— –
Euler était catastrophé. Nayla Berg-Ehron avait disparu et
il était le dernier à l’avoir vue vivante. Quand on lui avait demandé s’il
l’avait vue récemment, plutôt que de raconter la rencontre sur McGill College,
il s’était remémoré leur avant-dernière rencontre dans les marches de
l’escalier. Il se sentait terriblement coupable. Malgré lui, il avait peut-être
influencé son destin.
***
— –
Qu’était-il arrivé à Nayla ?
Sur les réseaux sociaux, certains, ou plutôt certaines, avançaient que de toute
évidence, Nayla avait disparu pour faire un coup d’éclat. Plus le temps
passait, plus elles étaient convaincues que c’était le cas. Ive, perdu dans ses
pensées, ne vit pas Von avant de lui foncer dedans. Il empestait la bière et le
tabac mouillé.
-
Salut Ive, ça va ?, demanda Von.
-
Et toi, mon vieux Néron, toujours sous l’emprise
de la bouteille? Tu fais dur, Von. Tu sens la tonne, lui dit-il en le poussant
de côté.
-
Pas de nouvelles de la belle Bleue ? Suis
sûr qu’elle s’est tirée d’ici ou qu’elle s’est pendue quelque part avec son
foulard. Pas toi ?, s’enquit Von.
-
C’est ce que tout le monde pense, répondit Ive.
Il se demanda s’il était normal
d’y croire. Il ne savait plus quoi penser. Toutes ses tentatives de lier les
événements des derniers jours finissaient en queue de poisson.
-
Tu penses qu’elle a disparu pour toujours, Von ?,
demanda Ive.
-
Oui. Ça fait plus de soixante-douze heures
qu’elle n’a pas donné signe de vie, qu’on est sans nouvelles d’elle. Mon
grand-père avait coutume de dire que s’il n’avait pas une piste, aussi ténue
soit-elle, dans les trois premiers jours d’une enquête, il allait être
difficile de résoudre le crime ou de fermer le dossier.
-
Arrête, je me sens tellement mal. Je suis
presque certain que c’est le vieux
schnock
du quatrième étage qui a saboté son poème.
-
Impossible. Ils s’adoraient ces deux-là. À quoi
ça rime cette histoire ? Entéka, si désespoir rime avec vaisselle d’hier
soir, peut-être qu’il n’y a plus ni Allah ni Nayla.
-
T’es pas drôle, Von. Il va falloir que tu y
ailles mollo avec tes jeux de mots à la con. N’importe qui a pu effacer les
mots du poème pour les remplacer par d’autres. Je me demande même si ça ne
serait pas toi qui as fait le coup…
Von jeta un regard mauvais à Ive
et recommença à descendre les marches en titubant.
-
Il faut que je ramasse mon violon, dit-il.
Ensuite, je file au Demi-Rêve. Tu vas venir faire un tour ?
-
Pas sûr de ce que je vais faire. Il faut que
j’aille faire souper mon père. Il dit qu’il n’y tient pas, mais je sais que ce
n’est pas vrai, répondit Ive.
-
Tu viendras faire un tour, après, je veux dire ?
-
Ça va faire 39,99 fois que je te dis que je ne
remettrai plus les pieds dans ce trou à ducs…
-
C’est que tout le monde va lire un petit quelque
chose que Nayla lui a écrit ou encore jouer un morceau… murmura Von.
-
Et toi, elle t’a déjà écrit quelque chose ?
demanda Ive avec un peu trop d’agressivité dans la voix.
Von ne répondit rien. Il prit une
bière dans son sac, la tendit à Ive et partit, muré dans un silence obstiné.
-
Ok, ok, oublie ça !, lui cria Ive.
Ive se rassit dans l’escalier et
ouvrit sa bière. Il reprit le cours de ses pensées en attendant Big, qui
revenait à Montréal après un séjour dans son patelin, à Laterrière. Il y a une
dizaine d’années, le Big méchant loup avait déserté la montagne pour la vaste
plaine urbaine. Ce faisant, il s’était dénaturé au point de ressembler à l’un
des prétentieux clébards fréquentant le Demi-Rêve. Ceux-ci ne s’intéressaient
guère aux poètes qui s’évertuaient derrière le micro. Ils étaient là pour
chasser les esseulées qui faisaient le pied de grue jusqu’au Last call. Ils consommaient sans
vergogne ces petites biches bien chaudes qu’ils ne gratifieraient même pas d’un
café ou d’un petit-déjeuner au matin.
Comme d’habitude, Big se laissait
désirer. Ive allait partir quand Big arriva un sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Ive ne le portait pas dans son cœur, car où qu’il aille, Big avait tôt fait de
prendre le plancher. En plus, il fallait toujours l’accommoder quand il arrivait.
Jamais au bon moment. Toujours trop tôt. Souvent très en retard. Et le salaud
avait un succès fou auprès de tout le monde, surtout les filles. Trou du dieu,
va !, se dit Ive.
-
Il commençait à être temps ! Je n’ai pas plus de trois minutes et quart à te consacrer, Big, tu comprends ?, lui reprocha Ive.- Oui, oui. Tu sais comme mon travail de création m’occupe, sans compter qu’il y a une succulente jeune fleur qui attend que ce soit moi qui la c…
-
Ok, ok ! Il te reste une minute. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
-
Ive, tu dois appeler Ugo pour qu’il m’invite à la veillée chez Jen.
-
Tu me fuckin’ niaises !
-
Tu es un vrai chum ! Je savais que tu le ferais pour moi. Bon, je dois y aller !
-
Ce serait chouette d’aller voir un film ensemble. Le dernier…
-
Je passe. Faut vraiment que j’aille
cueillir ce petit bouton de prose rose. Ciao, mec ! Ah ! Il faudrait
que quelqu’un répare la troisième marche. Disons que… je l’ai « déstabilisée »
l’autre nuit. J’aurais pu me blesser !
Peu porté sur l’introspection,
Big s’était mis en chasse dès son retour à Montréal. C’était sa manière de ne
pas trop être au courant de ce qui se passait depuis la soi-disant disparition
de Nayla. À force d’en entendre parler, il avait de drôles de sensations,
presque des émotions. Il ne voulait surtout pas laisser s’installer le début de
peine qu’il ressentait. Wow, quel exploit il avait accompli l’autre nuit. Il
avait ravi la Belle Bleue, rien de moins ! Il était persuadé qu’elle était
encore en vie.
— –
Trajet
Vous partirez de Montréal à 09:30 en direction de Rimouski où vous
arriverez à 16:55. Vous repartirez de Rimouski à 17:45 et arriverez à La
Martre à 21:43.
|
— –
Dans l’autocar
qui l’amenait au large, Nayla lisait La
tempête de Shakespeare. Elle avait très mal à la tête. Elle s’était reposée
quelques instants sur un banc dans un petit parc sur la rue Saint-Germain à
Rimouski, mais un homme âgé l’avait tiré de ses rêveries en lui criant des
bêtises racistes. N’ayant pas la force de riposter, elle était retournée se réfugier
à l’arrêt de bus, au café Orléans. Café lavasse et Doritos, puis en route vers
le Levant en fin de jour.
Il lui arrivait d’imaginer qu’elle retirait son voile et le lançait
du haut d’un rocher. C’était aussi libérateur que le jour où elle avait décidé
de le porter : ce n’était pas une apostasie, c’était autre chose. Oui, elle
souhaitait éprouver une incarnation telle qu’elle n’aurait plus besoin de
signes extérieurs, de preuves, pour être telle qu’elle était dans sa foi.
Elle s’endormit dans le bus et se réveilla à
Mont-Saint-Pierre. Il faudrait qu’elle trouve un moyen de revenir sur ses pas,
car elle aurait dû descendre à La Martre. Elle attendit une quarantaine de
minutes que quelqu’un s’arrête et la fasse monter. Finalement, un pick-up gris
s’immobilisa devant elle. Elle expliqua tant bien que mal où elle voulait
descendre. Vingt minutes plus tard, l’homme édenté la laissa tout près de la
route de la rivière et repartit sans dire un mot ni attendre qu’elle le
remercie. Il faisait noir maintenant, mais Nayla se mit à marcher jusqu’à la
cabane, qui se trouverait sur sa droite.
La porte n’était même pas barrée. Trop épuisée pour vérifier
si c’était la bonne maison, Nayla entra. Ça sentait le renfermé. Sur le côté du
mur, elle trouva un interrupteur. Au fond de la pièce, il y avait un escalier.
Les marches intérieures cantaient, comme chez son amie France. Elles étaient
plus basses à gauche, comme si tout le côté de la maison s’était légèrement
enfoncé. Elle monta les marches en pensant aux quelques gouttes de sang qu’elle
avait essuyées sous l’escalier à Montréal et à la machine à rumeurs qui ne
manquerait pas de s’emballer.
Elle se coucha tout habillée dans des draps qui sentaient la
débarbouillette grise défraîchie. Elle rabattit la couverture par-dessus sa tête
et ne tarda pas a plonger profondément dans un rêve.
— –
Dehors. le vent
bouscule la rivière, que la surcote a fait enfler. De hautes vagues viennent se
briser dans les marches de la galerie. Des jouets d’enfants flottent trop près
de la maison. La cabane est devenue une maison de campagne. Sous l’assaut des
flots, les poteaux et leurs chaînes ont été abattus et flottent à la surface de
l’eau. Elle reçoit la visite de Beau Big, qui ressemble à une souris hérisson
géante dont elle doit se débarrasser. Celui-ci réveille ses instincts de mort, elle
sent son désir de la tuer. Il y a une photo au sol avec deux, non trois
personnes : un homme et un homme et une femme, dont on ne voit qu’une
mèche verte. Big fond et tombe dans la photo. L’homme édenté se lève de sur la
photo, prend une pelle et lui dit : « J’ai des amis écrivains, ils
vont dire que tu as tué la souris machin et vont te dénoncer! »
À la vue de l’homme
et de la pelle, Nayla est prise d’une
absurde envie de rire. Cela commence par un tremblement dans le ventre qui met
en mouvement les cris qu’elle n’arrive pas à émettre. Elle se retient, se retient,
gênée de péter devant cet homme qui l’avait reconduite à cette cabane et qui,
maintenant, la menace. Elle se précipite dehors, mais l’homme la saisit par son
foulard. Elle s’échappe. Il la rattrape et ses doigts saisissent une couette de
cheveux. Il l’attire vers lui avant de la projeter au sol. Elle tente de se
défaire de l’emprise de l’homme, mais il lui envoie un coup de pied dans les
jambes, puis dans les côtes. Il la traîne sur la grève.
Elle tente
d’amadouer l’homme.
-
Tellement de phrases incroyables
furent écrites dans l’histoire de la littérature que ce ne serait que pure
prétention de ma part que de croire pouvoir en inventer une de plus. Je ne fais
que prendre des mots dits par d’autres, des mots que vous avez déjà prononcés,
tout à l’heure, hier, il y a un an, il y a des siècles, demain, murmura-t-elle.
-
Ta yeule, Bitch ! crache-t-il,
accentuant la pression de sa botte sur son torse.
-
Les mâles alpha sont en voie d’extinction,
dit Nayla.
La lame commença à
déchirer la peau de son cou. Il y a un cri strident, un froissement d’ailes et
la terre tremble. Du coin de l’œil, Nayla voit le condor s’abattre trois fois
sur son agresseur, le taillant en pièces. Puis, l’oiseau vomit sur ce qui reste
de l’homme, une lueur noire brillant dans ses yeux.
— –
Nayla se réveilla. Queue de cochon avec ampoule au plafond,
murs défraîchis, courbatures. Pluie rageuse, insistante, à la fenêtre. Elle est
dans la cabane. Il fait encore nuit. Elle a la nausée. Elle sort prendre l’air.
Elle enjambe le parapet de la 132 au pied du phare rouge. Elle veut aller se
promener sur la grève, remettre de l’ordre dans la nuit.
Il devait près de quatre heures. La pluie avait cessé,
laissant le ciel en lambeaux. Déjà un filet de lumière léchait l’horizon,
atténuant le bleu de la nuit. De rares voitures ou semi-remorques filaient en
direction ouest. Pourquoi était-elle partie ? Pour punir Jen ? Pour
se punir elle-même ? Ses « amis » ne manqueraient pas de penser
qu’elle avait agi comme elle l’avait fait pour se faire remarquer. Au fond,
elle n’avait que faire de toutes ces intentions qu’on lui prêtait.
À bien y penser, si elle revenait à Montréal, elle
renoncerait au bleu turquin de ses cheveux et leur rendrait leur feu naturel
que quelques lignes de glace venait déjà étouffer. Nayla regretta d’avoir laissé
sa frontale dans la cabane. Demain, elle se renseignerait sur les heures des
marées, car elle avait l’intention de partir explorer la grève en direction de Mont-Saint-Pierre.
Je suis partie sans
autre but que de partir et déjà, je sais qu’il faut que je revienne, car au
bout du monde, il n’y a nulle part où aller, se dit-elle.
Oui, c’est ainsi qu’elle marquerait son retour à
l’appartement et, peut-être, dans le cœur de Jen. Pourquoi encore
s’étaient-elles brouillées ? Les pires chicanes sont souvent celles dont l’objet s’est perdu dans
l’habitude de la colère. Une sourde rancœur s’insinue dans le couple, résultat
d’un reproche qui n’a jamais su s’exprimer correctement. Des broutilles, qui
génèrent une frustration injustifiée et disproportionnée que la honte a tôt
fait d’enfouir si profondément que nous pensons avoir oublié, pardonné ou
dépassé la colère. Mais ce n’est jamais ce qui se produit. La hargne se loge
insidieusement dans un repli blessé et y marine. Une insatisfaction sans nom
prolifère et contamine peu à peu les non-dits avoisinants, colonisant les
vieilles cicatrices et diffusant aléatoirement ses sournoises métastases dans l’âme.
C’est ainsi que l’amour meurt doucereusement, sans que nous n’y prenions garde.
Elle enjamba le parapet au pied du phare rouge et descendit
sur la grève. Elle avançait tant bien que mal sur les pierres arrosées par les
embruns. Le vent dépeignait les nuages qui cavalcadaient dans le gris bleuté du
ciel. Son
foulard fut arraché et partit au vent. Cela la fit sourire. Elle
marchait prudemment sur les crans, évitant les trous d’eau et les algues
rouges. Elle atteignit le petit cap et décida de l’escalader. La mer était si
belle Ici
et là, le soleil voulait crever le ciel.
Sur le piton, une bourrasque de vent la surprit en même temps que
la vague. Nayla eut à peine le temps de sentir la langue froide de l’eau et la
piqûre du sel dans ses yeux. Le ciel s’offrait à elle, course folle de bandes
grises, blanches et bleues, puis l’iris de Mister Léonard éclata dans sa tête, évoquant
le cœur d’une marguerite, la suite de Fibonacci, l’agencement fractal des
étoiles de lumière. « Inch’Allah », soupira-t-elle, « que c'est
bon de reprendre la mer et l'aventure ! Je suis là où se sera en allée ma
vie, emportée dans ce modeste lit de vagues. Je ferai de ces pierres ma maison
et d’une pierre noire votre déraison. Je vous salue Marie, pleine de grâces.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes… » Elle se sentait à la fois
lourde et légère, elle avait chaud et froid. Ses vêtements étaient détrempés.
Un goût de sel et de sang sur les lèvres. Douleur aigüe aux jambes et à
l’arrière de la tête. Chaleur visqueuse dans sa culotte. Odeur de vomi dans ses
cheveux. Nayla se dit : « J’ai mal, donc je suis. Je sens, donc je
vis. » Elle eut le temps de penser : « Je voudrais être
emportée, rider la vague, avoir
autant de fougue que les flots. » Puis, avant de fermer les yeux et de
boire la mer, elle revit les mots qu’elle avait écrits sous l’escalier :
En marchant dans le pré
Au détour d’un
sentier,
Le vent soufflant m’enveloppe
À sa caresse.
Soudain,
j’aperçois la Mort
Une charogne infâme
Sur
un lit semé de cailloux.
Je
me chrysalide
en patience,
Les jambes en l’air,
Le
cœur
en batture,
Médusée,
je flotte vers toi
NAYLA
Comme une femme
Lubrique,
brûlante
Je
me rends
Jusqu’aux
rochers
Poursuivis
par les embruns
Et suant les poisons
De
ce Beau
de l’air
Qui,
me ravissant
Ouvrait d’une façon
Nonchalante
et cynique
Sur
les
traces
De
nos peaux tendues
Son ventre
Dans
un filet
d’amour
Pas
sage
Plein d’exhalaisons
Ses
lèvres gourmandes
Sur nos queues arides
En marchant
dans le pré
Au détour d’un
sentier,
Le vent
soufflant m’enveloppe
À sa caresse,
Soudain,
j’aperçois la Mort
Une charogne
infâme
Sur un lit
semé de cailloux.
Je me
chrysalide en patience,
Les jambes en
l’air,
Le cœur en
batture,
Médusée, je
flotte vers toi
Nayla
Comme une
femme
Lubrique,
brûlante
Je me rends
Jusqu’aux
rochers
Poursuivis par
les embruns
Et suant les
poisons
De ce Beau de
l’air
Qui, me
ravissant
Ouvrait d’une
façon
Nonchalante et
cynique
Sur les traces
De nos peaux
tendues
Son ventre
Dans un filet
d’amour
Pas sage
Plein
d’exhalaisons
Ses lèvres
gourmandes
Sur nos queues
arides
Marchande de peau infâme
Sur un lit, la Pute NAYLA
Lubrique jusqu’aux os,
Use son beau cul vide
Sur nos queues arides.
Au
détour d’un sentier
Une
charogne infâme
Sur
un lit semé de cailloux,
Les
jambes en l’air
Comme
une femme
Lubrique,
brûlante
Et
suant les poisons
Ouvrait
d’une façon
Nonchalante
et cynique
Son
ventre
Plein
d’exhalaisons.
En marchant dans le pré,
Le vent soufflant m’enveloppe
À sa caresse.
Soudain,
j’aperçois la Mort.
Je
me chrysalide en patience,
Le
cœur en batture.
Médusée,
je flotte vers toi
Je
me rends jusqu’aux rochers
Poursuivis
par les embruns
De
ce Beau de l’air
Qui,
me ravissant
Sur
les traces
De
nos peaux tendues
Dans
un filet d’amour
Pas
sage
Ses
lèvres gourmandes