Dans ce théâtre sans
ombres d'âmes ambulantes,
Un metteur en scène
s'approche de ses comédiens
Et glisse quelques roches
dans leurs mains impatientes.
Ils s'alignent sur le fil
du granit et s’y fixent,
Oiseaux migrateurs du
départ en classe tous risques
Vers l'Ouest, vers l'Est,
vers le Sud, vers le Nord ou vers Rien.
Certains s’approchent de
moi, espérant décrocher
La Lune, le Soleil ou
quelques pièces bien sonnées.
Ils justifient leur quête
et prétendent mériter
Un peu d’argent, un peu de
bouffe, voire un café.
Ils disent ne pas dormir
ou si peu ou si mal,
C’est bien assez pour
réclamer leur saint Graal.
Ils n’ont que faire des
regards et des mots bancals.
C’est le blé qui importe
plus que l’assiette tendue
Pour cette faim qui les
ronge, mais qu’ils n’ont presque plus
Sauf pour des bouquets de
brocolis sur le sol
Qu’ils ramassent avec
toute l’arrogance d’une honte folle
Leurs glaviots, leurs
mépris, ce reflet qu’ils garrochent,
Réveillent un souvenir
sourd que plus rien n’oblitère
Celui où je recueille sur
le sol des vieux butchs
Pour rouler des cigarettes
molles et au goût rance
Nicotine composite de
salives étrangères
Haleines plurielles
d’inconnus rencontrés
Au hasard d'un french kiss
infect et trop mouillé
Oui, j’ai tremblé comme
une feuille dans l’intime errance
De la misère et de la gale
aux doigts jaunis
Et me voilà qui revient
ici aujourd’hui
Bien parée, déparée dans
mes loques relookées,
À me la jouer artiste
clocharde dans mes hardes.
Souriante saltimbanque
détraquée, embarquée,
Parmi ces pauvres hères
aux rictus effarés
Qui promènent leurs
manteaux et leurs âmes d’échardes
Sur une place désertée
d’où pourtant ils s’évadent
Chevauchant les lignes
blanches incertaines de l’oubli
Et tendant leurs gamelles
que plus rien ne remplit.